Le capitalisme porte en lui-même les germes de son autodestruction. En cette période de confinement liée au tristement célèbre Covid-19, jamais cette sentence de Karl Marx n’aura autant semblée d’actualité.
Karl Marx n’était certes pas un virologue, mais sa formation de philosophe ainsi que ses travaux d’économiste et d’historien lui confèrent une autorité intellectuelle naturelle sur les causes et les conséquences de cette crise.
N’en déplaisent aux adversaires viscéraux de Marx (qui bien souvent n’ont pas lu ou compris la moindre ligne de ses ouvrages), se plonger dans l’analyse de l’intellectuel allemand s’avère très instructive.
L’Analyse de Marx
Revenons en quelques lignes, bien que je perçoive pleinement la gageure et les inévitables simplifications réductrices de l’exercice, sur la théorie développée par Karl Marx dans son ouvrage majeur d’économie politique, Das Kapital. Notons au préalable que nous distinguons ici l’analyse marxienne de la vulgate marxiste. Cette dernière est davantage une émanation, voire une transformation de la théorie de Karl Marx à des fins politiques, tandis que l’analyse marxienne repose sur une étude de la compréhension fine des écrits de Karl Marx. C’est bien entendu cette composante qui sera retenue ici.
Pour Karl Marx, le système capitaliste repose sur une accumulation du capital par une partie restreinte de la population : les capitalistes. Ces derniers détiennent les moyens de production, tandis que dans le même temps, la grande majorité de la population, la classe du prolétariat, ne dispose que de sa force de travail pour subvenir à ses besoins.
Pour perdurer, le système capitaliste a besoin de créer de la plus-value sur les marchandises produites. Or, celle-ci est générée par le travail des prolétaires. En effet, dans le système capitaliste, seuls les prolétaires peuvent produire un bien dont la valeur est supérieure à ce qu’il coûte. A l’inverse, une machine programmée pour produire dix pièces au maximum par heure ne pourra pas en produire onze, sous peine de casse mécanique. En revanche, il est toujours possible de sous-payer un manœuvre pour son travail et ce, d’autant plus facilement que la concurrence pour obtenir un emploi fait rage : la célèbre « armée de réserve industrielle », cette population à la recherche d’un travail pour subvenir à ses besoins, fait pression sur les insiders et les salaires.
Or, va se poser un problème essentiel : si la plus-value est issue du prolétariat, la concurrence que se livrent entre eux les capitalistes les amène à remplacer les hommes par des machines. La plus-value va donc devenir de plus en plus difficile à obtenir, et le système s’asphyxiera de lui-même. Voilà également pourquoi Marx était favorable au libre-échange et à l’internationalisation du système capitaliste. Plus vite le système se répandra sur la planète, plus vite il disparaîtra.
De Karl à Greta
Cette analyse a été largement reprise et développée, en particulier dans les années 1970, par des universitaires brillants, notamment Christian Palloix, Jean Cartelier ou Carlo Benetti, pour ne citer que quelques-uns des intellectuels que j’ai eu la chance de croiser. Aujourd’hui, le développement des réseaux sociaux atténue fortement la capacité de pensée des individus, et l’on porte aux nues les propos d’une adolescente scandinave, devenue l’icône et la porte-voix d’un nouveau monde qui se revendique idyllique, respectueux et écologique. Bien entendu, il ne s’agit pas de dénigrer l’essence des propos tenus, mais de souligner que toutes les pensées ne se valent pas. Il est néanmoins évident que la globalisation à marche forcée du système économique est une réalité, et que l’on peut légitimement s’interroger sur les bienfaits et les méfaits de celle-ci.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous assistons à une dichotomie claire des pays de la planète. Aux richesses accumulées par quelques-uns répond le dénuement extrême du très grand nombre. Se sont développés les concepts de tiers-monde, puis de quart-monde pour qualifier des populations vivant dans une situation de très grande pauvreté. Cette situation s’est assortie d’une intensification de l’exploitation des ressources naturelles et des échanges afin de permettre une consommation intensive au sein des pays occidentaux.
Or, depuis la fin des années 1990 et l’émergence de nouvelles puissances telles que la Chine ou l’Inde, on note une apparition régulière d’épidémies et de pandémies liées à ce système. L’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB, la crise de la vache folle), le virus H1N1 (la grippe porcine en 2009) ou bien encore le virus Ebola en 2013 ne sont que la partie émergée de l’iceberg, et sont les conséquences d’une exploitation irraisonnée des ressources. A force d’empiéter sur son espace via la déforestation, le poumon de la planète, l’Amazonie, a perdu également son rôle de filtre à bactéries qui protégeait les hommes de différentes maladies.
Conclusion : Marx a-t-il eu Raison trop Tôt ?
On peut se dire que tout sera fait pour conserver le système. Mais les dernières crises économiques ont été d’une violence foudroyante (en particulier celle de 2008 et celle qui résulte actuellement du Coronavirus) et les coûts engendrés pour les combattre sont colossaux. Mario Draghi voulait défendre la zone euro « whatever it takes« . Emmanuel Macron propose de son côté le « quoi qu’il en coûte » Nous voyons bien que ces solutions sont pensées pour maintenir le système et l’empêcher d’imploser.
Nous serions donc en face d’un système malade, que l’on semble maintenir artificiellement en vie, dont on refuse de croire qu’il peut disparaître. Or, c’est bien le sujet central de ce débat. Marx n’a jamais donné de date de péremption au système capitaliste, il en a analysé le fonctionnement et proposé une étude. On peut penser que les solutions mises en place ne font que retarder l’échéance finale, à moins que le capitalisme ne parvienne à se réinventer. La réaction des politiques sera révélatrice de ce vers quoi nous nous dirigeons. Y aura-t-il une prise de conscience, ou une amnésie volontaire ? Fermera-t-on les yeux en croisant les doigts ou affronterons-nous les défis en face ?
En effet, les sujets ne manqueront pas. Que ce soit la rivalité économique et politique USA/Chine, l’éclatement ou la remise en marche du projet européen ou l’explosion du coût de la dette publique, les réponses apportées devront être claires. Les semaines et les mois à venir seront déterminants.
Crédit image : Planète Finance